Quelles alternatives à l'hadopi? 1/3

Publié le par L'appel des treize

Aujourd'hui, et pour commencer notre tour de table de la société civile, nous avons le plaisir d'accueillir un billet du président de L'UFC-Que Choisir Alain Bazot, sur l'opportunité d'une licence globale. Nous accueillerons demains un billet de l'ISOC.

La licence globale : il est temps d’entrer dans l’ère numérique !


Les discussions relatives à la circulation des œuvres sur Internet conduisent toujours à la même impasse : la répression. Le très controversé projet de loi Création et Internet en est l’éclatante illustration. Cet égarement peut s’expliquer par le refus de certains, dont le législateur, de se poser les vraies questions : quel est le prix des biens culturels dématérialisés ? Quels doivent être leur mode de commercialisation ?

Dans notre raisonnement, le bien culturel n’est pas l’œuvre en elle-même (l’art a-t-il un prix ?) mais sa cristallisation sur un support.

Les supports physiques, une cassette ou un DVD d’une œuvre, ont un prix. Le prix d’un support dépend étroitement de son coût. Dans la théorie économique, le prix est déterminé en fonction du coût marginal. Par exemple, un CD a un coût marginal positif, car produire un CD supplémentaire et le mettre à disposition ne peut se faire sans dépenses supplémentaires (la production de l’objet physique, le transport, le stockage, la distribution).

Autre caractéristique essentielle du bien physique : sa « rivalité ». S’il ne reste qu’un seul CD dans un rayon et que vous l’achetez, vous privez le consommateur qui vous suit et si vous partez sans payer vous privez le disquaire d’une vente (et il réalise une perte, le prix auquel il a acheté ce CD).

Dans l’économie de l’immatériel, les choses sont bien différentes et cela pour une raison : le coût marginal de production d’un fichier numérique est nul. Plus précisément, on peut multiplier les fichiers numériques d’une œuvre pour un coût égal à zéro. Aussi, contrairement au support physique, le fichier numérique est un bien « non rival ». Lorsque vous téléchargez un morceau de musique vous ne privez personne et personne ne réalise de pertes. Il peut donc être possédé par tous. C’est d’ailleurs pour cette raison que comparer le téléchargement d’un fichier au vol d’une baguette de pain n’a aucun sens !

Par conséquent, la dématérialisation parce qu’elle permet un partage sans coût de la culture, parce qu’elle constitue un accès à l’information et à l’art pour tous, remet fondamentalement en cause les modèles économiques existants. Dès lors, il apparaît essentiel de proposer de nouvelles formes de rémunération pour allier les avantages d’Internet à une juste rétribution des artistes/créateurs.

Notre point de vue est que dans une économie de coûts fixes, distribuer un ou 10 000 MP3 ne fait pas varier le coût de production, il est plus pertinent de faire payer l’accès et non pas la quantité. Ce mode de commercialisation, apparut avec la commercialisation de l’accès à internet (le forfait illimité), est le modèle consacré par l’économie numérique.

Pour bien comprendre la pertinence d’un tel modèle nous pouvons nous appuyer sur la fiction, riche d’enseignements, de Nicolas Curien:

« Supposons que, dans le monde « physique », ait été inventée une technologie « miracle » qui permette de remplacer immédiatement, à l’identique et sans aucun coût, tout CD retiré des bacs d’une surface de distribution. Dans un tel monde, il apparaîtrait impensable que des caisses soient disposées en sortie de magasin afin de faire payer les CD emportés par les « clients » : celui qui part avec 100 CD « cause » en effet exactement le même coût que celui qui part avec 10 CD ou encore que celui qui part avec 1000 CD, c’est à dire zéro ! En revanche, personne ne comprendrait que des caisses ne soient pas installées à l’entrée, afin de facturer l’accès à une telle caverne d’Ali Baba »1

Tout le monde comprendra que Nicolas Curien défend dans cette fiction la licence globale. Ce travail vise à illustrer que l’on peut garantir à la fois l’accès à la culture et la création de revenus.

On peut également ajouter que l’accès à la culture n’est pas le point final de ce processus. Un certains nombre d’études récentes2 semblent le montrer : le téléchargement créerait de nouvelles appétences chez le consommateur. D’ailleurs, cela corrobore les principaux résultats de notre propre étude. Nous avons, par exemple, observé que bien que le téléchargement existe depuis plusieurs années, le secteur de la culture se porte plutôt bien, voire mieux, puisque certaines activités comme le spectacle vivant et le cinéma en salle explosent… De la à y voir un lien de cause à effet, il n’y a qu’un pas.

Par conséquent, il apparaît que la licence légale constitue le modèle économique adapté au monde numérique. Nous irons même plus loin, elle n’est pas un remède à un mal (le téléchargement), elle est une ouverture vers une nouvelle ère économique, fondée sur le cercle vertueux de la diffusion et du partage, qui créera plus de richesses que le déclin du monde physique en a détruit.


Alain Bazot,

Président de l’UFC-Que Choisir

 

1Droits d’auteur et Internet : Pourquoi la licence globale n’est pas le diable ?, Nicolas Curien, Janvier 2006.

2Par exemple, Ups and Dows, Economic and cultural effects of file sharing on music, film and games. (2009),

étude commanditée par le ministère de la culture néerlandais qui montre que le téléchargement a un impact global sur l’économie plutôt positif.

Publié dans Les artistes engagés

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P
<br /> Super ton article !!<br />
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Z
chacun a donné son point de vue et même des propositions. le vrai débat aura lieu le 29  avril au  parlement. si la loi venait d'être votée , qelle position adopter, attendons pour voir...
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Z
c'est un débat de fond, il y a trop d'interêts . si notre plate forme ob donne la parôle à la société civile,chacun doit donner sa position.les interêts pour les uns et pour les autres: les artistes, les producteurs, les circuits de distribution ,les internautes, et ob. si la question est importante ,pourquoi cette reflexion maintenant sur cette loi? je pense , que le débat est important, pour qu'on en parle depuis 3 jours. que dit cette loi décriée autant  ? cette intérrogation doit avoir sa réponse , pourqu'on se situe .
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C
"Quant à la Licence Globale, elle sera répartie avec la même opacité que le produit de la redevance pour copie privée existante"<br /> <br /> Pourquoi toujours placer la licence globale dans le système actuel? Les défenseurs de la LG sont les premiers à dire que le système actuel est injuste. Par conséquent, il est évident qu'ils n'entendent pas procéder de la même manière! <br /> Si tu lis l'ouvrage de Philippe Aigrain (gratuit sur son site) ou l'étude de l'ufc, tu te rendras compte qu'ils essaient d'apporter des solutions au problème de la répartition!<br /> Peut être qu'avant de déverser notre pessimisme nous devrions attendre des propositions concrètes et juger sur pièces!
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Z
votre analyse sur la production des différents produits, vous mettez en exergue les circuits de distribution, moi en tant que producteur d'idées, je suis coincé.on est de votre avis ,les internautes qui ne trichent pas.nous sommes interessés.notre place dans votre analyse, je ne la perçois pas .je vous demande peut-être un peu trop merci
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