L'union nécessaire des artistes et des internautes
Ici est reproduite une tribune inédite de la Quadrature du Net appelant à l'union de la société civile et du monde de la culture. Cette proposition sera suivie d'actes très rapidement, c'est une promesse ici faite. D'après nos dernières informations, le front pro-hadopi se fissure au sein de nombreuses sociétés comme la SRF (société des réalisateurs de films), la SPI (société de producteurs indépendants), l'ADAMI... le monde du cinéma bouge, et vite.
Du concile à la table ronde
Par Jean Cattan et Jérémie Zimmermann (co-fondateur de La Quadrature du Net)
Suite au rejet des députés du projet de loi « création et internet », censé lutter contre le partage des œuvres sur internet, la Ministre de la Culture Christine Albanel a dénoncé la « manœuvre » des députés socialistes « sortis de derrière les rideaux » pour voter contre le texte. Qu'un membre du gouvernement taxe un vote parlementaire de manoeuvre constitue un fait plus incroyable encore que le rejet de ce texte répressif.
À cette tentative de discréditer un vote démocratique, nous répondrons par l’interrogative : la manœuvre ne réside-t-elle pas plutôt dans la volonté du gouvernement de substituer à la légitimité des représentants de la Nation celle de professionnels de l'« industrie culturelle » ?
L'effronterie n’est-elle pas celle d’un Etat, récemment en charge de la présidence de l’Union européenne, qui tente d’adopter à marche forcée un texte en opposition frontale avec la position exprimée à trois reprises par le Parlement européen ?
Plutôt que dans le partage d'œuvres culturelles, le danger ne repose-t-il pas enfin dans la mise en place d'autorités administratives plongeant les citoyens dans l'insécurité juridique à l'aide de polices privées, de preuves dérisoires et de procédures expéditives ?
Rien ne justifie l'absence des députés UMP lors du vote, sinon le manque de soutien dont souffrait ce texte, y compris au sein de la majorité. À force de confondre la procédure d’urgence avec celle du verrouillage parlementaire, le gouvernement a essuyé un revers cinglant.
Cette expérience nous enseigne une chose : ni les chantages, ni les pressions ne peuvent entraver l'alliance des citoyens et de leurs représentants légitimes. Quand bien même ce texte sera-t-il réintroduit et voté en force, preuve est faite qu'il est inacceptable.
Aussi, nos gouvernants ont-ils voulu opposer les créateurs et leur public. Ils n’y parviendront pas. Les artistes façonnent nos existences et nos représentations collectives. Ils contribuent à donner du sens à un monde en tourments et leur public est profondément attaché à la place éminente qu'ils occupent dans nos sociétés.
Le partage d'œuvres en réseau représente une formidable opportunité pour les artistes, leur permettant d'augmenter leur visibilité et d'être en rapport direct avec leur public. C'est également un progrès du point de vue de l'accès à la culture, dont le bénéfice pour l'ensemble de la société est évident. Ces progrès ne doivent pas être érigés en menace.
L'enjeu, désormais, est de repenser les modes de production et de distribution de la culture à l'ère numérique. Internet n'est pas l'ennemi de la création et plutôt que de faire obstacle au progrès, il nous faut, collectivement, jeter les bases d'un financement pérenne de la création en phase avec notre temps et qui profite à tous.
Le projet du gouvernement fut qualifié par de nombreux artistes de « rendez-vous manqué ». Force est de constater que la méthode de l’accord interprofessionnel n'a pu se substituer de manière convaincante à une consultation démocratique et ouverte sur la société.
L'histoire nous apprend qu'aux rendez-vous manqués et aux vains affrontements, il nous faut préférer l’apaisement et le dialogue. Là où nos gouvernants ont tenté d'imposer la voie du concile, nous proposons à tous les artistes celle de la table ronde, ouverte et transparente.